Très beau ton texte, trouvé sur Facebook que je voulais vous partager.

Hier, je suis passée proche. En finir m'a apparu comme un rai de lumière qui pénétrait le noir dans lequel je me trouvais, comme une solution désirable pour mettre fin au combat et à la souffrance. Pour rejeter une fois pour toutes cette vie pour laquelle je dois me battre jour après jour, contre la maladie mentale, contre les problèmes physiques qui m'assaillent de toutes parts et me dépouillent d'un corps que j'avais fini par accepter à force de renoncements et de rages enfouies. Ce corps qui m'a toujours séparée des autres en se retranchant derrière une épaisse défense visant à repousser les autres, à m'empêcher de me plonger dans cette vie à la fois si attirante et si effrayante, voilà qu'après avoir lentement fait son travail de sape, mon corps me lâche aussi.

Le spectre de ma mère qui vient de mourir après une paralysie totale de 2 ans au cours de laquelle elle n'a jamais rien perdu de sa lucidité, retranchée dans un corps ingrat n'ouvrant sur l'extérieur que deux petites fenêtres mortes et sans expression, ce spectre déploie sur moi son ombre et je sais que je ne gagnerai pas, comme jamais je n'ai gagné contre elle de son vivant.

Combien de temps encore est-ce que je vais pouvoir tenir? L'échappatoire se trouve là, dans un tiroir, chez moi. Quel que soit l'instant, quelle que soit mon humeur, ça me rassure de le savoir là. C'est une sortie de secours, une certitude que si je n'ai aucun pouvoir contre une vie qui passe son temps à me malmener, je pourrai à tout moment reprendre le contrôle et décider.

Je suis malchanceuse comme d'autres ont le cancer. Le sol s'effondre en permanence sous mes pieds et rien n'échappe à l'éboulement. Ça en devient presque caricatural. Là où les gens de mon âge vivent une vie de famille, ont des petits enfants, envisagent la retraite, je dois gérer le déséquilibre structurel et destructeur d'une de mes filles et les tourments de l'autre, plongée dans le crime organisé et la prostitution. Tout en jonglant avec le reste. Ma vie est un chemin tortueux, semé d'embûches et de pièges. Je suis comme ces personnes qui détraquent les montres suisses. Il suffit que j'achète une voiture pour que l'essieu casse et que la roue se détache, en plein autoroute. Mes amis me regardent avec commisération et ne trouvent plus les mots. Je suis une probabilité d'échec, une statistique négative, une exception grammaticale.
Et je n'en peux plus de lutter.

Du plus loin que je me souvienne, J'ai toujours vécu le souffle court, les épaules crispées, avec retenue, avec cette sensation que la vie n'est pas pour moi, que le bonheur n'est pas pour moi et que si je venais à respirer trop fort, à faire trop de bruit, quelqu'un, quelque chose pourrait me remarquer et s'abattre sur moi pour achever son oeuvre de destruction.

Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours fantasmé sur l'idée de m'étendre et de dormir, dormir, dormir.

La bipolarité m'a fait vivre 55 ans de ma vie dans un malentendu généralisé. Je découvre la vie depuis 2 ans, comme un aveugle découvre les couleurs. Émerveillée mais avec une crainte terrible de ne pas pouvoir supporter cette intensité, cette beauté mais aussi cette violence. Je me souviens il y a quelques temps avoir été tellement étonnée que la majorité des gens n'étaient pas fatigués en se levant le matin...

Ah.
C'est ça, la vie.
La vraie vie. Celle que je n'ai jamais eue et que je n'aurai jamais...

À ceux qui ont eu le courage de lire ce texte jusqu'au bout, ne craignez rien. Je vais m'en sortir et continuer. Comme toujours. Et je me demande si cette résistance n'est pas le pire de tout...